La loi du 3 février 2018 portant sur le bail commercial et modifiant certaines dispositions du Code civil a été adoptée afin de préserver les droits du locataire en tentant de lui assurer une stabilité dans les lieux loués.

Il a été introduit un changement notable quant aux conditions d’accès au renouvellement du bail commercial.

Désormais, le preneur est expressément autorisé, en vertu de l’article 1762-10 du Code civil, à solliciter au moins 6 mois avant l’échéance du bail commercial le renouvellement de celui-ci, indépendamment de la durée effective d’occupation des lieux.

Le bailleur dispose ensuite d’un délai de trois mois à compter de la réception de cette demande pour faire connaître sa position.

Le bailleur peut valablement refuser le renouvellement demandé par le preneur, respectivement, à défaut de demande de renouvellement, résilier le bail commercial avec préavis dans trois cas limitativement énumérés à l’alinéa 2 de l’article 1762-11 du Code civil :

  • s’il entend occuper personnellement les lieux, ou les mettre à disposition de ses descendants au premier degré ;
  • s’il renonce à toute location à des fins d’activité similaire ;
  • en cas de reconstruction ou de transformation du bien loué.

En revanche, et ce en vertu de l’article 1762-12 du Code civil, lorsque le preneur occupe les lieux depuis plus de neuf ans au moment de la demande de renouvellement, respectivement, à défaut, au moment de la résiliation du bail commercial par le bailleur, ce dernier dispose d’un droit de refus, respectivement de résiliation plus étendu : le bailleur peut s’opposer au renouvellement, respectivement, peut résilier le contrat de bail commercial sans devoir justifier sa décision, à condition de verser au preneur, avant l’échéance du bail, une indemnité d’éviction.

Ce droit peut également être exercé si un tiers règle cette indemnité d’éviction au preneur avant la fin du bail.

A défaut de clause contractuelle ou d’accord entre les parties fixant le montant de l’indemnité d’éviction, il revient au Juge de déterminer celui-ci « sur base de la valeur marchande du fonds de commerce pour l’activité en question ».

Bien que ces nouvelles dispositions légales introduites par la loi du 3 février 2018 aient été conçues pour protéger les locataires en prévoyant le paiement d’une indemnité compensatoire, elles ont créé des attentes souvent irréalistes tant sur le principe que sur le montant de cette indemnité d’éviction.

La loi a certes tenté de renforcer la protection des locataires, mais elle a également engendré des défis significatifs. La complexité du calcul de l’indemnité, les procédures judiciaires nécessaires et les preuves requises rendent l’obtention de l’indemnité d’éviction loin d’être une réalité simple et accessible, ce qui met aussi bien locataires que propriétaires face à une impasse.

Il est essentiel pour les locataires et les propriétaires de bien comprendre leurs droits et obligations.

En témoigne une décision rendue le 3 avril 2025 par le Tribunal de paix de et à Luxembourg, siégeant en matière de bail commercial.

Il s’agissait d’un litige dans le cadre duquel la Justice de paix a été saisie par le locataire (ci-après dénommé « la société A. ») aux fins de voir constater la résiliation, par courrier du bailleur de février 2022, du contrat de bail commercial ayant pris effet en janvier 2011 et de voir condamner le bailleur à une indemnité d’éviction.

Dans son prédit jugement du 3 avril 2025, la Justice de paix a confirmé que « L’indemnité d’éviction prévue à l’article 1762-12 du Code civil constitue un mécanisme de protection légale du preneur indépendant de toute faute du bailleur (TAL, 3ème, 15 décembre 2020, n°TAL-2020-05435 du rôle). ».

Le Juge a ensuite rappelé que lorsque le preneur qui subit la résiliation unilatérale du contrat de bail par le bailleur ne la conteste pas et libère les lieux, le bail est réputé résilié et terminé, pour constater ensuite que « « Dans la mesure où l’article 1762-12 du Code civil dispose que l’indemnité d’éviction doit être versée par le bailleur avant la fin du bail, donc en l’espèce avant le [XX] février 2023, il y a lieu de débouter [la société A.] de sa demande en indemnité d’éviction (JPL 22 février 2021, n°573/2021). ».

Pour conclure au rejet de la demande de la société A. tendant à voir condamner le bailleur au paiement d’une indemnité d’éviction, le Tribunal a retenu que celle-ci avait implicitement accepté la résiliation unilatérale du contrat de bail commercial, en quittant volontairement les lieux loués et en s’abstenant de contester ladite résiliation, ce même en cours de procédure.

Il convient de relever, bien que cela ne soit pas expressément mentionné dans la décision du 3 avril 2025, que si la législation accorde au bailleur la faculté de résilier le contrat de bail commercial sous certaines conditions de forme et de fond, elle reconnaît également – et de manière tout aussi significative – au preneur la possibilité de solliciter le renouvellement de son bail, conformément aux dispositions exposées ci-dessus.

Ainsi, un locataire de bonne foi, désireux de poursuivre son activité commerciale, aurait dû se manifester en temps utile et mettre en œuvre les mécanismes juridiques prévus à son bénéfice.

En acceptant sans réserve la résiliation du bail, le preneur a clairement exprimé sa volonté de mettre fin à la relation contractuelle. Il ne saurait, dès lors, invoquer ultérieurement le bénéfice d’une indemnité d’éviction destinée à compenser la perte d’une activité commerciale qu’il a lui-même choisi d’abandonner.

Une telle prétention relèverait d’un comportement opportuniste, contraire à l’esprit et à la lettre des textes applicables.

Accorder une indemnité d’éviction dans les circonstances présentes reviendrait à méconnaître les dispositions légales, lesquelles prévoient expressément que ladite indemnité d’éviction est due au locataire en cas de résiliation par le bailleur, respectivement, en cas de refus de renouvellement par le bailleur, et ce, avant la cessation effective du bail.

Il en résulte que le versement d’une indemnité d’éviction ne revêt pas un caractère automatique et doit s’apprécier à la lumière des circonstances de l’espèce et de la volonté exprimée par les parties, sinon, de l’attitude adoptée par le locataire suite à la résiliation, respectivement au refus de renouvellement.

Enfin, il convient de préciser que la décision du 3 avril 2025 (répertoire No. 1299/25) reste, à ce jour, susceptible d’appel jusqu’au 14 mai 2025.

LAW CAIRN – Girault & Godart

En collaboration avec Fathia HAMIDI, Senior Consultant Retail & Industry chez INOWAI SA, spécialisée en matière de baux commerciaux

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