Quelques grandes règles à retenir à partir d’un cas pratique

 

Le principe de la responsabilité du chef d’entreprise impose à ce dernier de veiller personnellement et à tout moment à la constante application des dispositions légales, ce qui a pour conséquence qu’il ne saurait faire valoir ni son éloignement, ni la faute d’un salarié, ni la faute d’un tiers.

Le chef d’entreprise est ainsi personnellement et pénalement responsable de sa faute consistant dans un défaut de surveillance, et dès lors est considéré comme auteur des faits commis par autrui (p. ex. : le salarié).

Le fondement de la responsabilité pénale du chef d’entreprise en cas de faute commise par un salarié réside dans l’exercice des pouvoirs d’entreprise.

Le chef d’entreprise est le juge :

  • du choix de ses salariés,
  • de l’appréciation de leurs qualifications professionnelles, et
  • de l’organisation du travail au sein de l’entreprise.

 

Les faits

Le cas pratique ici présenté concerne un employé d’une entreprise qui s’est gravement blessé aux doigts en introduisant des chutes métalliques dans un broyeur.

Du fait de la non-utilisation au préalable de la machine de pré-coupe, il a directement poussé des éléments à broyer conséquents dans le broyeur avec une barre, laquelle, sous l’effet de la rotation, lui a coincé les doigts de la main le blessant gravement.

Or, il s’est avéré que le broyeur ne disposait ni de barre de sécurité, ni de bouton d’arrêt d’urgence, ni de couvercle qui auraient permis d’empêcher l’accident.

 

Analyse juridique de la faute :

La première question à se poser est de savoir si la machine était conforme aux normes de sécurité. En d’autres termes, la conception de la machine a-t-elle joué un rôle dans la survenance de l’accident ?

Le constat technique fut fait que la machine avait été modifiée en ce sens que des éléments initialement installés avaient été enlevés, à savoir le couvercle et les barres de sécurité.

Par conséquent, les juridictions n’ont eu d’autre choix que de tirer la conclusion d’une manipulation non conforme de la machine suite aux modifications effectuées.

Au vu de cette conclusion, il est un fait évident que la conception de départ des machines utilisées au sein d’une entreprise ne doit pas être modifiée, surtout lorsque les modifications concernent des éléments de sécurité visant à éviter toute blessure par le personnel qui l’emploie.

Toute modification risque donc de créer d’office une responsabilité ou, pour le moins, une présomption de responsabilité.

En outre, le fait qu’aucune procédure d’utilisation du broyeur n’était mise en place par l’employeur fut un constat à charge.

Ainsi, on ne peut pas reprocher au salarié de ne pas avoir utilisé la machine dans le respect des règles de l’entreprise puisqu’aucune règle n’était consignée.

Les salariés utilisaient dès lors la machine de façon plutôt intuitive.

La responsabilité de l’employeur est donnée sur base de cette seule constatation alors qu’en tant qu’employeur, il aurait dû examiner chaque situation en tenant compte de l’ensemble des aléas prévisibles afin de déterminer tous les risques potentiels. Ceci implique qu’à chaque changement de situation, il y a lieu de procéder à une nouvelle analyse pour déterminer les risques potentiels.

Le chef d’entreprise doit déterminer si un risque potentiel existe, auquel cas il doit l’évaluer afin de déterminer les mesures à prendre. A partir du moment où le chef d’entreprise a évalué les risques potentiels, il est obligé de prendre toutes les mesures nécessaires pour prévenir les risques professionnels et pour éviter toute survenance d’un accident.

Le chef d’entreprise doit prendre les mesures appropriées pour que les salariés reçoivent toutes les informations nécessaires concernant les risques pour leur sécurité et leur santé ainsi que les mesures de prévention et de précaution et ne pas modifier la machine.

En l’espèce, il y avait une absence totale de procédure d’analyse des risques potentiels et les salariés n’avaient pas été rendus attentifs au fait que l’usage de la machine présentait un risque.

Le broyeur aurait par conséquent dû être identifié comme étant une machine à risques.

En résumé, en ce qui concerne l’utilisation de ce broyeur, trois fautes ont été commises, à savoir :

  • Modification du broyeur qui n’était donc plus conforme aux normes de sécurité,
  • Absence de manuel d’utilisation du broyeur,
  • Absence d’information quant aux risques liés à l’utilisation du broyeur.

Dans ce contexte, la responsabilité pénale de l’employeur est donnée et entraîne la responsabilité du dirigeant/chef d’entreprise, personne physique.

La question se pose dès lors de savoir à quel titre la société employeuse est pénalement responsable.

La jurisprudence met en avant la nécessité de rechercher si la société employeuse a tiré un ou plusieurs avantages de la situation pour que sa responsabilité pénale soit retenue.

On peut envisager que le but de la modification du broyeur était éventuellement de gagner du temps de production et de chercher une plus grande efficacité, donc de tirer un avantage du retrait du couvercle et des barres de sécurité.

Selon la loi du 3 mars 2010, « la personne morale ne peut pas, matériellement, être elle-même l’auteur de l’infraction, dans la mesure où elle ne dispose que d’une existence juridique et ne peut agir matériellement qu’à travers des personnes physiques, […] de sorte qu’il doit toujours y avoir un auteur immédiat de l’infraction qui ne peut être qu’une personne physique » (Avis du Conseil d’Etat du 19 janvier 2010 relatif au projet n°5718, document 5718/2004, Identifiant J-2009-O-1477, p. 5).

A côté du fait que le chef d’entreprise, personne physique, peut voir sa responsabilité pénale engagée en cas de non-respect des obligations en matière de sécurité et de santé au travail, la société employeuse peut également être tenue responsable si elle a bénéficié « économiquement » de la violation.

 

Me Isabelle GIRAULT – Me Aline GODART

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